Le « Choc des savoirs » met en place la labellisation des manuels et impose des méthodes du CP à la terminale. Des mesures qui vont à l’encontre de la liberté pédagogique des enseignants. La Fep-CFDT s’y oppose fermement.
Le projet de décret, passé au Conseil supérieur de l’éducation ce 8 février, prévoit la mise en place d’un label Éducation nationale attestant « pour un niveau et une discipline ou un domaine d’enseignement, la conformité d’un manuel scolaire aux programmes d’enseignement et sa qualité pédagogique et didactique. Cette dernière est appréciée au regard d’un référentiel élaboré par le Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN) et approuvé par le ministre chargé de l’éducation ».
Grave remise en question de la liberté pédagogique
En pratique, les enseignants auront le choix entre des manuels labellisés ou non. Mais ce choix sera forcément biaisé car seuls ceux qui auront reçu le label seront financés. Sans compter, suite à une inspection, les conséquences que pourrait avoir pour un professeur la sélection d’un manuel non validé.
D’ailleurs, l’offre des manuels sans label sera sans doute fort restreinte. En effet, même si les éditeurs se sont tous opposés à cette mesure, ils seront contraints de tout faire pour que leurs publications soient validées pour pouvoir les vendre.
Ce recours à la labellisation laisse supposer que, pour le ministère, les enseignants ne sont pas en mesure de choisir un manuel, ni les supports pédagogiques, pas plus que les bonnes méthodes. C’est ne pas reconnaître leurs compétences pour mener les recherches utiles à l’élaboration de leurs cours et vouloir réduire leur liberté pédagogique en les transformant en de simples exécutants. C’est aussi oublier leur statut de cadres.
Enfin, imposer des méthodes revient à nier que celles-ci doivent varier pour s’adapter aux élèves et à leurs besoins, que la façon de faire de l’enseignant entre forcément en ligne de compte quand il s’agit de pédagogie. Avec cette mesure, ce sont la différenciation et la prise en considération de la diversité des élèves qui sont mises à mal. Ainsi que l’inclusion.
La mainmise du ministère sur les manuels est tout sauf démocratique, et pourrait s’avérer délétère si les extrêmes parvenaient au pouvoir.
Calendrier intenable
Tous les manuels devront être labellisés, dans toutes les matières, d’ici à la rentrée 2026. Cela commence par le primaire pour les mathématiques et le français, et ce, dès la rentrée 2024. Cette mise en place risque d’être d’autant plus difficile que les projets de programmes applicables en septembre ne sont toujours pas sortis… Et qu’avant d’être publiés, les textes devront passer en commissions spécialisées et au Conseil supérieur de l’éducation. Alors seulement, les éditeurs pourront faire des propositions de manuels pour l’obtention du label. Mais celle-ci ne sera possible qu’après un délai minimum de trois mois après dépôt de la maquette au Conseil scientifique de l’éducation nationale. Ce calendrier est objectivement intenable pour une application à la rentrée 2024…
Manque de transparence patent
À ce jour, le référentiel contenant le cahier des charges pour la validation des manuels n’a pas été diffusé. L’ensemble des syndicats a insisté pour qu’il soit présenté et discuté. Mais le ministère reste réticent à son passage au Conseil supérieur de l’éducation. Ce qui est pourtant essentiel, car la labellisation ne consistera pas seulement à valider la conformité d’un manuel au programme. Il s’agira aussi de veiller à ce que l’ouvrage remplisse des critères pédagogiques et didactiques, et donc qu’il utilise des méthodes jugées conformes, qui seront destinées, par son intermédiaire, à tous les élèves.
La composition du Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN) est aussi un enjeu. En décembre, certains de ses membres ont quitté cette instance, estimant que ces mesures relatives à la labellisation vont à l’encontre de ce qu’est la recherche. Restent donc les chercheurs partisans. De même, la commission chargée de la labellisation sera composée d’universitaires, d’inspecteurs et de professeurs désignés par la ministre sur proposition du Conseil supérieur des programmes. L’impartialité risque bien de ne pas être de mise.
Enfin, les saisines concernant les nouveaux programmes montrent que ceux-ci imposent aussi des méthodes, car il y est question des « stratégies de raisonnement » et des « repères d’activité, d’acquisition voire de performance, attendus des élèves », sans parler de la méthode Singapour.